Le LAVOMATIC c’est 1 mannequin, 1 laverie, 1 interview le temps de faire sa lessive !
C’est à la laverie Le Bateau Lavoir dans le 15ème arrondissement que je rejoins Bétina. Triple slasheuse : 3 métiers, 3 casquettes, qu’elle porte alternativement sur les plateaux de shootings. En plus de son activité de mannequin, Bétina est maquilleuse et a lancé sa propre société de production B.Stories. Une frénésie d’action qui se heurte parfois à l’incompréhension des autres : « C’est en attendant de trouver mieux ? », « Mais c’est quoi ton vrai métier ? ». Bétina nous explique son choix de ne pas choisir et nous rassure sur le fait que oui, on peut savoir faire plusieurs choses et bien les faire !
Tout débute par le mannequinat. À 15 ans, un ami étudiant à l’Atelier Chardon Savard lui propose de défiler pour la présentation de sa collection. « L’école fait ses défilés au Cirque d’Hiver tous les ans, donc je débarque là-dedans, j’y connaissais rien mais je trouve ça trop cool comme ambiance ! Tu rencontres des gens improbables, comme c’est pas payé, il y a que des potes de potes. Ça me plaît mais à aucun moment j’ai envie de faire ça toute ma vie. Ensuite j’ai rencontré un photographe qui a fait mes premières photos pros et ça m’a permis de décrocher quelques jobs. »
Après le lycée, elle rejoint une école de make-up : « À force de fréquenter ce milieu, j’avais envie de commencer à bosser dedans. Ma mère était habilleuse chez Canal+ et AB Productions, je l’accompagnais enfant, j’aimais bien l’ambiance en coulisses. Et le maquillage c’était le métier des coulisses qui me plaisait le plus. C’est le moment de détente ultime. T’es avec la mannequin, dans un cocon, souvent l’équipe fait ses trucs, on te calcule pas, tu prends soin de l’autre. Mais une fois diplômée, je sentais que ça allait être un long tunnel. L’école était super mais on te prépare pas à trouver du travail après. »
Sur un coup de tête, sans un sou, Bétina part pour un voyage de 6 mois en Nouvelle-Zélande. Elle vit au jour le jour, enchaine les petits boulots quand l’argent manque, rencontre du monde, se débrouille et y prend goût. Elle gagne en assurance et à son retour en France elle s’associe à un photographe pour monter une affaire. « Quand je rentre c’est le trou noir professionnel mais j’ai eu le temps de réfléchir. Je rencontre un photographe et on décide de bosser ensemble. On se dit qu’il y a des gens qui veulent faire des shoots mais qui ne savent pas les faire. Nous on sait, lui est photographe, moi mannequin et maquilleuse, on fait une tambouille, un truc pour les très jeunes marques qui n’ont pas de sous. Et ça fonctionne bien ! Mais au bout de 2 ans, on ne s’entend plus et on décide d’arrêter. C’est avec cette expérience que j’ai commencé à apprendre le métier de prod. »
Germe alors l’idée de monter sa boite seule : « Je me suis dis : tu l’as fait à deux, fais-le toute seule ! Pendant toutes ces années j’avais bossé avec énormément de monde, des gens sur lesquels je pouvais m’appuyer pour avoir la force de le faire. Ça m’a pris 6 mois pour me décider, mon mec me boostait mais j’avais peur. Et un jour je me suis dit : allez, GO ! Et là ça devient viscéral, je veux le faire, ça m’obsède ! Je me sentais frustrée, j’avais enchainé les jobs un peu pourris, on m’avait maltraitée, je voulais faire les choses à ma façon. Et en 1 mois j’avais lancé ma boîte. »
Bétina active son réseau et trouve rapidement ses premiers clients. « Quand je regarde en arrière, je me rends compte que tout ce qui a marché, c’était grâce à l’humain. C’est ça que je veux insuffler dans B.stories. J’en ai vécu tellement en tant que mannequin, des shootings où t’es pas à l’aise, t’as pas d’info, on t’envoie pour 3 jours de boulot à Bordeaux mais quand tu arrives tu sais même pas où tu dors. Pareil pour le make-up qu’on dénigre parfois alors que c’est une pièce maitresse d’un shooting réussi. C’est pas moins important qu’un photographe. Un shooting c’est un puzzle et s’il manque une pièce, ça ne fonctionne pas. Si la make-up se sent bien, elle va faire un bon job. Mais si tu la laisses à l’écart, elle ne va pas bien se sentir et il ne se passera rien. Il faut aussi faire comprendre au photographe qu’il n’est pas la star du shoot, qu’il est important mais au même titre que tous les autres qui travaillent. C’est pour ça que j’ai tendance à m’entourer des mêmes personnes. Je sais qu’avec eux ça roule, qu’on est en confiance, qu’il n’y a pas de problème. Et puis dans tout ça, il y a aussi la marque, qui nous paie tous. C’est important que le client ait confiance en moi. Et une fois qu’il m’a choisi, derrière il faut assumer. »
« B.Stories, c’est presque une colonie de vacances ! Par exemple, ça passe par le fait de bien manger sur un plateau. On peut en rigoler, mais le nombre de fois où tu arrives : y a pas de petit dej, à midi rien n’est commandé pour le dej, donc tu mangeras pas avant 14h ou 15h alors que t’es en train de bosser depuis 8h… personne n’a envie de ça ! Alors qu’à l’inverse, si quand tu arrives on t’accueille avec le petit dej, à 10h on a déjà pris ta commande pour le déjeuner, à midi tout est prêt et tu as juste les pieds à mettre sous la table… là tout le monde est content, tout le monde sait que ça roule et peut donner le meilleur. Sur le plateau, chacun a déjà tellement à gérer à son poste, alors si en plus dans un coin de ta tête tu t’inquiètes de ce que tu vas manger, à quelle heure tu vas manger, c’est pas possible. Et ce stress-là, en tant que prod, c’est mon métier d’en décharger les autres. »
Une relation humaine que Bétina conserve aussi dans ses relations commerciales : « J’essaie de ne jamais refuser un budget. Parfois je me serre la ceinture mais je considère que si tu n’aides pas une jeune marque, elle ne pourra rien faire. Alors que si tu lui tends la main, tu fais juste ce que d’autres t’ont fait quand toi tu as débuté ! Quand j’étais jeune mannequin, on m’a fait confiance. Quand j’étais jeune make-up, on m’a fait confiance. Quand j’étais jeune productrice, on m’a fait confiance. Il y a des prods qui vont chercher à prendre tout le budget d’une marque, sauf que si tous ses moyens y passent, elle ne pourra plus rien faire d’autre et elle va se planter. Quel est l’intérêt ? »
Avec son tempérament, j’ai demandé à Bétina si elle arrivait facilement à laisser d’autres faire ce qu’elle aussi fait habituellement sur un plateau. « J’évite d’avoir plusieurs casquettes sur un même shoot, ce serait trop lourd à gérer. Quand je fais la prod, j’arrive sans problème à déléguer, à faire confiance à la make-up et la mannequin. Je n’ai rien à leur apprendre ! Si je vais les emmerder, elles vont juste se vexer, se sentir surveillées et ne pas donner le meilleur d’elle-même. Et quand je suis mannequin, j’en profite pour observer. Tout ce que je vois et j’entends, j’apprends et je m’en sers. J’ai fait un gros job en Thaïlande, c’était génial. Chacun était à son poste, jouait son rôle sans empiéter sur les autres, chacun était respecté pour son travail. C’était très formateur. »
« J’en ai entendu des remarques, qu’on me dise « Tu serais pas si jolie, t’y arriverais pas ». Mais ça veut dire quoi ça ? Qu’en 2021, ça puisse encore déranger qu’on soit une femme, qu’on soit un peu jolie, un peu jeune et qu’on ait un peu d’ambition ? Même si tu les écoutes pas, tu les entends et c’est blessant. Comme les critiques sur ton poids quand t’es mannequin. « T’es trop maigre, t’es trop grosse, t’as pensé à te faire gonfler un peu les lèvres ? » Non mais t’es qui pour me dire ça ? Sur un show-room d’une grande maison de couture, on m’a déjà dit « Vous les mannequins, vous ressemblez pas à des humains ». Tu réalises l’agressivité de cette phrase ? C’est de ton corps qu’on parle et qu’on te demande en plus d’exposer. C’est violent. J’avais déjà 25 ans, j’ai encaissé, mais tu dis ça à une petite nana qui débute, qui a 16 ans, c’est traumatisant. »
« C’est vrai que j’ai tendance à vouloir tout gérer, dans le pro comme le perso. Je crois que c’est une revanche sur moi-même, je veux montrer que je suis capable, qu’on se dise pas : Ah elle est nulle celle-là. Je me fais souvent critiquer parce que je fais plein de choses. On me demande si c’est parce que j’ai besoin d’argent ou parce que je sais pas bien faire un truc. Mais pourquoi, parce que je suis mannequin, je ne pourrais rien faire d’autre ? J’ai fait une école de make-up, j’ai l’opportunité de monter ma boîte, je ne vais pas me l’interdire parce que j’ai commencé mannequin ! C’est dérangeant de tout mettre dans des cases, ça crée des frustrations et de la jalousie. C’est contre-productif dans le boulot. Donc moi j’ai envie de passer un message d’amour et de paix, je vois plein de gens qui n’osent pas faire parce qu’ils ont peur du jugement des autres, qui parfois peut être méchant. Mais tout le monde a débuté un jour, tout le monde a dû apprendre. Donc il ne faut pas avoir peur, il faut s’écouter, il faut se lancer ! »
Pour suivre le travail de Bétina, plusieurs adresses donc ! Bétina mannequin, Bétina maquilleuse et Bétina productice.