LAVOMATIC #1 // VALENTINE

Le LAVOMATIC c’est 1 mannequin, 1 laverie, 1 interview le temps de faire sa lessive !

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Et c’est Valentine qui ouvre le bal de ce nouveau format d’interview. Je travaille souvent avec des modèles dont le mannequinat est une activité secondaire. Sportives, entrepreneuses, étudiantes et même gameuses : ce sont autant de parcours que de personnalités à découvrir. Une journée de shooting – et c’est un des aspects que j’aime dans ce métier – ça laisse beaucoup de temps pour se raconter plein de choses. Des histoires souvent inédites, passionnantes, que j’avais envie de partager dans un format… décalé !

Valentine nous raconte son expérience de sportive de haut niveau. Championne de France de saut à la perche à 16 ans, elle se voit proposer une bourse d’études par une prestigieuse université américaine qu’elle rejoint après son bac. Mais au bout d’un an, une blessure la contraint à mettre fin à l’aventure. Récit :

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« Je viens d’une famille de sportifs et j’ai commencé très tôt à faire de l’athlétisme. J’avais un ami plus âgé qui faisait de la perche et j’ai suivi les cours avec lui. À 12 ans, j’étais trop jeune pour me spécialiser mais le coach a vu que je me débrouillais bien et il m’a pris sous son aile. En parallèle, j’allais dans un collège spécial pour le sport, à Valence. On avait cours le matin et sport l’après-midi. Une fois par semaine on travaillait notre sport et les autres jours, on avait basket, aviron, vélo, rugby, gym,… on touchait à tout. Pour garder sa place, il fallait avoir un bon niveau en club, donc on se retrouvait avec des gens qui étaient doués chacun dans leur sport, on avait tous le même état d’esprit, on a évolué ensemble pendant 4 ans et ça, c’était chouette !

Bien sauter à la perche, ça demande plusieurs « dextérités ». Il faut savoir bien courir et bien se placer. Moi j’étais très bonne en sprint. La gym que je pratiquais dans ce collège, ça m’aidait dans les transitions entre la course et les phases en l’air. Il faut se repérer dans l’espace, être à l’aise la tête en bas et c’était carrément mon cas. Et puis quand on est jeune, on ne fait pas gaffe, on y va tête baissée !

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Quand je suis arrivée au lycée, ça m’a fait bizarre. On te dit que tu as cours de 8h à 18h et plus de place pour ton sport. Donc je devais m’entrainer très tôt, avant les cours, j’allais courir avec mon coach qui habitait près de chez moi. Et tous les soirs je prenais le bus pour aller au stade. C’était très dur parce que j’étais en S, j’avais beaucoup de cours, ça finissait tard, il y avait les devoirs. Mais j’adorais ça, je savais que j’en avais besoin, dès que je sortais des cours c’était le truc que j’attendais !

Pourtant je n’ai jamais envisagé le sport comme un métier, mes parents m’encourageaient tout en me répétant « Fais des études ! Apprends un métier ! ». Et à l’inverse, je n’ai jamais vu le sport comme un simple loisir. J’avais un petit calendrier sur lequel j’avais marqué des objectifs : les championnats de France, les JO en 2024… C’est pour ça que j’allais m’entrainer tous les jours ! J’arrivais à gérer les cours et le sport donc je pensais que j’allais pouvoir faire ça toute ma vie… et en grandissant évidemment, tu te rends compte que non. Il y a un moment où il va falloir faire un choix mais tu ne sais pas quand. Et c’est quand je suis partie aux Etats-Unis que je l’ai compris.

Ce départ, ça s’est fait parce que j’ai gagné le Championnat de France Cadette en salle en 2016. J’avais 16 ans. Moi je ne savais pas, mais il y a des chasseurs de têtes qui repèrent des sportifs pour les placer dans des universités partout dans le monde. Je connaissais des gens qui partaient pour les Etats-Unis ou l’Allemagne, mais je ne savais pas trop comment ni pourquoi. Dès que j’ai gagné, j’ai reçu des contacts d’agents spécialisés. Celui avec qui j’ai travaillé opérait aux Etats-Unis, il m’a « vendue » dans huit universités, dont les objectifs correspondaient à mes performances et j’ai finalement choisi Post University, dans le Connecticut.

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Je suis partie après mon bac, initialement pour 4 ans. J’avais une grosse bourse, qui couvrait les frais de scolarité et un logement partagé. J’étais très fière parce que c’était une des meilleures bourses de l’université. Au total je devais être prise en charge à plus de 80%. Mais je sais que dans d’autres universités, une fille Championne d’Europe par exemple, elle n’aurait rien à payer du tout. En plus de mon niveau sportif, j’ai aussi dû passer le TOEFL et le SAT pour être acceptée. Je suis arrivée de nuit sur le campus où j’ai été accueillie par un membre du staff sportif et c’est le lendemain que j’ai pu découvrir le campus. Quand je suis arrivée à la cafétéria pour le petit-déjeuner, j’ai vu un groupe de filles et je me suis assise à leur table. C’était l’équipe des footballeuses, elles étaient hyper sympas et tout de suite elles m’ont fait rencontrer du monde, j’étais déjà dans l’ambiance !

Dans mon équipe d’athlétisme, j’étais dédiée à la perche. On se levait tous les matins à 5 heures et on partait pour Yale à 45 minutes en voiture. De 6h à 9h, on s’entrainait sur la piste. Puis on rentrait, on prenait le petit-déjeuner à 10 heures. Là, on allait chez le kiné pendant une heure, faire de la proprioception. Ensuite on avait des cours entre midi et deux, on mangeait à 14 heures puis on faisait la sieste et on avait à nouveau entraînement de 16h à 19h. Encore 1 cours le soir et après, chacun dans sa chambre où l’on suivait des cours « asynchrones », c’est-à-dire à faire dans son lit sans avoir besoin d’aller en classe. Pour dîner, on mangeait à la cafétéria avant l’entrainement ou le soir dans nos chambres. Ça peut sembler léger 3 cours de 45 minutes mais c’était très intense. Les profs étaient des gens qui avaient de gros postes dans de grandes entreprises américaines, c’était assez passionnant. Les compétitions avaient lieu en semaine, donc le week-end on révisait nos cours toute la journée avant d’aller aux soirées sur le campus. C’était comme dans les films, il y avait des « maisons » par sport, celle des footballeuses, des basketeuses, des joueurs de la crosse et le football américain évidemment.

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Au rythme sportif, c’était très différent. Moi j’étais forte en course, donc je travaillais beaucoup sur mon côté gym en France. Mais aux U.S, on ne faisait plus que de la musculation. Je trouve que les Américains ont trop ce culte-là ! Pour moi si t’es trop musclée, tu n’es pas à l’aise pour sauter, tu fais tout en force. C’est pas beau, c’est moins efficace. Dans les compétitions auxquelles je participais, ils passaient tout comme des bourrins. J’ai pris cinq kilos de muscles, parce que tu manges mal et tout ce que tu manges, tu le transformes en muscle. Mais j’étais pas à l’aise. Quand j’ai gagné le Championnat de France, c’était à un moment où je révisais mon bac français. Je suis une grosse stressée des cours donc j’avais perdu du poids. Et en même temps, je m’entrainais beaucoup donc c’est là que j’avais le meilleur rapport poids-puissance. Je n’ai jamais été coach mais de mon point de vue, la perche c’est un équilibre entre tout : ce que tu manges, comment tu t’entraines, les différentes phases que tu travailles. Je pense que ça doit être hyper fluide, comme quand tu vois Lavillenie qui saute. Si ça ne l’est pas, c’est que tu n’as peut-être pas la bonne approche.

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Pourquoi ça s’est terminé ? J’étais déjà blessée avant de quitter la France. À force d’avoir la même impulsion sur la même jambe, mon tibia s’est fracturé à deux endroits. J’ai fait des soins avant de partir mais là-bas, ils te poussent tellement plus fort sur les performances que ça n’a pas tenu. Au bout d’un an, ils m’ont proposé de me faire soigner, mais si j’acceptais de me faire opérer là-bas, ça voulait dire rééducation à l’Université, tu ne fais plus de sport, tu manges mal, tu restes sur le banc à regarder tes amis faire du sport. J’aurais fait une dépression ! En France, j’ai mes amis, ma famille, j’ai décidé de rentrer en me disant que je repartirai une fois guérie. Mais en arrivant, je me suis rendue compte que je n’avais plus envie de me battre pour ce sport. J’avais toujours su que ce moment arriverait, et là j’y étais. J’avais vécu des trucs géniaux mais c’était le moment de me dire : « tu te concentres sur les cours et plus seulement sur le sport ».

J’étais partie pour 4 ans donc sans blessure, j’y serais toujours. Quand j’y repense, c’est un rythme que je n’aurais pas tenu. Entre les entrainements, les cours, les soirées, en fait t’es crevée ! Je n’ai jamais repris le saut à la perche depuis. Ça me manquerait si je savais que j’étais capable de le faire. Mais là je sais que ça va me faire mal, donc je n’ai plus envie. Le fait d’avoir pratiqué à 200%, ça m’a permis d’accepter que ça s’arrête. Évidemment je n’ai pas tout vu, je ne ferai pas les JO qui était un de mes objectifs. J’ai adoré vivre tout ça, j’avais plein de monde qui me soutenait, qui m’accompagnait. J’en ai fait suffisamment pour pouvoir me dire : « OK, maintenant, je vais faire autre chose et je vais profiter d’autres trucs ». Parce que c’est aussi un rythme de vie qui te met en décalage avec les autres. J’ai fait ça à haut niveau de 12 à 18 ans. Ce sont les années où tu commences à aller chez tes copains pour tes premières fêtes. Mais moi j’y allais jamais parce que j’avais entrainement et que le lendemain je me levais à 5h du matin pour aller à un meeting !

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Tout le côté challenge que j’aimais dans le sport, je le retrouve autrement maintenant que je suis en école de commerce. C’est d’autres envies, d’autres objectifs, mais ça reste des défis. Après mes études j’aimerais bien travailler dans le luxe. C’est un milieu très compétitif, donc moi ça me plaît. La perche c’est un sport solitaire, t’es obligée de nouer des liens avec les concurrentes. Il y avait une bonne ambiance, il y avait des amitiés, on s’encourageait mutuellement. On n’était pas toutes en train de sauter la même barre, chacune fait son truc à son rythme. C’est à ton tour, c’est à mon tour. C’est hyper fair-play. Il y a compétition, mais si l’autre est plus forte, tu vas l’envier, tu vas vouloir la battre la prochaine fois, mais tu ne vas pas la détester. Ça donne un bon état d’esprit. En école de commerce, je retrouve ce côté challenge, mais en groupe. Et j’adore ! Je retrouve la hargne que j’avais dans le sport à vouloir atteindre un objectif. J’ai jamais voulu « bouffer » les autres. Par contre la rage d’atteindre mon objectif, ça je crois que je l’ai transféré dans le milieu professionnel.

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